1917 - La chanson de Craonne
LA CHANSON DE CRAONNE
Quand au bout d'huit jours, le r'pos terminé,
On va r'prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c'est bien fini, on en a assez
Personn' ne veut plus marcher
Et, le coeur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots.
Même sans tambour, même sans trompette
On s'en va là-haut en baissant la tête.
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes !
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau,
Car nous sommes tous condamnés,
Nous sommes les sacrifiés.
Huit jours de tranchées, huit jours de souffrances,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu'un qui s'avance.
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l'ombre, sous la pluie qui tombe,
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes !
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau,
Car nous sommes tous condamnés,
Nous sommes les sacrifiés.
C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards
Tous ces gros qui font leur foire,
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous, c'est pas la mêm' chose.
Au lieu de s'cacher, tous ces embusqués
F'raient mieux d'monter aux tranchées,
Pour défendr' leurs biens, car nous n'avons rien,
Nous autr's les pauvr's purotins,
Tous les camarad's sont étendus là
Pour défendr' les biens de ces messieurs-là.
Ceux qu'ont l'pognon,
Ceux-là r'viendront
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votr' tour, messieurs les gros,
De monter sur l'plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !