La petite fille brûlée au napalm - 1972 - Histoire des arts - 3e
PHOTOGRAPHIER LA GUERRE
LA PETITE FILLE BRÛLÉE AU NAPALM
Catégorie : arts du visuel
Thème : art, état, pouvoir et société
I. JE PRÉSENTE LA PHOTOGRAPHIE
II. JE DECRIS LA PHOTOGRAPHIE
Structure et composition |
Plans Ils sont au nombre de trois : - au premier plan, des enfants Sud-Vietnamiens - trois soldats américains occupent la largeur de la route au second plan. - en arrière-plan, la fournaise du bombardement au napalm ferme l’horizon. |
Géométrie La route organise une ligne de fuite vers la fournaise. La jeune fille est au centre de la photographie. Les jeunes Vietnamiens forment une sorte de bandeau en arc de cercle et qui rétrécie vers la droite : idée de mouvement vers l’avant. Les soldats forment une ligne, un barrage. La ligne d’horizon sépare la terre et le ciel : la fournaise les rejoints. |
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Couleurs, lumières |
Couleurs C’est du noir et blanc. La blancheur des jeunes Vietnamiens illustre l’innocence de l’enfance. Les soldats gris foncé expriment le métal de la force et de la mort. L’horizon est chargé d’une noirceur qui monte du sol et dispute sa place au ciel aux lueurs blanchâtres. La blancheur de l’asphalte contraste avec la noirceur du napalm qui semble s’avancer. |
Lumières La lumière se porte essentiellement sur les enfants Vietnamiens. L’axe de la route devant la jeune fille indique le chemin du salut. |
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Personnages et décor |
Personnages Le regard se porte d'abord sur les enfants. Cinq enfants se sauvent, en proie à la terreur panique, crient et hurlent de douleur. Les deux plus en plus avant, la bouche grande ouverte, ferment les yeux de douleur, comment s’ils ne veulent pas voir la réalité, excédés par la souffrance. Au centre, la jeune fille, Phan Thị Kim Phúc, âgée de 9 ans, concentre les regards et fixe l’objectif de l’appareil, donc le photographe, donc le spectateur. Elle est entièrement nue, les bras en croix. C’est incongru. Est-ce une humiliation ? Est-ce un viol ? Une autre jeune fille tient par la main probablement son jeune frère. Le plus petit, un garçon, esseulé, se retourne vers les soldats et la fournaise. Hésite-t-il sur ce qu’il doit faire ? Demander de l’aide aux soldats ? Repartir sur ses pas et rentrer « chez lui » ? Continuer à suivre les autres enfants ? Tous ont les pieds nus. Le plus grand ouvre l’espace vers l’avant, sur le point de sortir du champ de la photographie et, peut-être, d’atteindre son salut en quittant le théâtre de la violence. Les garçons les plus petits sont le plus à la traîne. Le haut des casques reluisant, les soldats américains marchent à pas lents, occupent la largeur de la route, comme si de rien était. Comme si – ce n’est pas vrai – la guerre est affaire de routine. Ils barrent l’espace entre les enfants et la fournaise. |
Lieux et paysages Une route avec des bas-côtés verdoyants, sans végétation haute. Le paysage est plutôt nu. Quelques panneaux de signalisation affichent des écritures indistinctes. Le paysage est plutôt nu : il renforce la concentration du regard sur les enfants. Les soldats sombres appartiennent plutôt au décor inquiétant. « C’est comme si on ouvrait la porte d’un four allumé, un souffle brûlant. L’horizon est brûlé par la fournaise : « On ne voyait plus les gens. C’était effrayant», raconte un cameraman. Plus que le côté assourdissant des bombes, ce sont les flammes qui envahissent tout qui impressionnent. La route est en feu : «mon dieu quelle horreur ! » ajoute-t-il. |
III. J’INTERPRÈTE LA PHOTOGRAPHIE
Quelles sont ses particularités artistiques ? Quelle en est la signification selon le photographe ?
La photographie est considérée comme « parfaite » par son cadrage et sa dramaturgie. Le photographe reporter agit dans l’instant. Même s’il recherche la « photo » idéale et le scoop, il ne peut pas savoir ce qu’il enfermera dans le boîtier. Il est une part de hasard et de chance. Il ne sait non plus si la photographie est réussie et saura dire quelque chose de marquant et traduire l’indicible. Le but est de créer un choc dans le public et faire accéder ce dernier à une vérité jusqu’ici largement cachée.
Quelles sont les interprétations possibles ? Peut-on en proposer une interprétation symbolique ?
Au moment où les enfants sortent de la pagode, une bombe explose larguée par un avion qui vole à basse altitude. Il largue quatre bombes au napalm directement sur la route qu’empruntent les fuyards. Un soldat porte le petit Dan ; mais il est mort. Quant au petit Kuong, un soldat le persuade de sortir. Un autre avion ajoute quatre bombes au napalm. Le photographe prend l’image au moment de l’explosion au napalm. Elle est en noir et blanc et ne peut montrer le rougeoiement. Le photographe donnera l’explication plus tard. Les enfants fuient en état de choc, silencieux. Ils crient quand ils voient les photographes et le cameraman. La jeune Kim, en particulier, prise d’abord dans la fournaise, brûlée au bras et par ses vêtements également en feu, peut courir pour échapper aux flammes, après s’être débarrassée de ses vêtements, car ses jambes ne sont pas atteintes. Croisant le photographe, elle crie : « Trop chaud, trop chaud ». En fait, elle demande de l’aide. Un soldat lui donne à boire, puis elle perd connaissance.
Les responsables de la violence sont les soldats américains, qui agissent de sang-froid et ne s’occupent pas des enfants. La violence aveugle s’exerce sur des enfants innocents, séparés de leurs parents. Ici, il n’est même pas question d’adultes, encore moins de soldats ennemis. Il s’agit de deux mondes parallèles, qui se rencontrent dans l’expression de la violence. La photographie prend une valeur universelle comme icône du pacifisme et dénonciation de la guerre et de ses horreurs.
La vision de l'artiste est-elle conforme à une réalité objective ? Quel est le parti pris de l'auteur ?
Une photographie est toujours un choix subjectif pour saisir une partie de la réalité. La « photo-vérité » entend raconter une réalité vraie. Le photographe n’invente rien. Elle correspond à la vérité historique : ravages indistincts des bombardements au napalm. La guerre du Vietnam est d’une violence extrême. Les civils sont pris entre deux feux. Mais, le photographe oriente le sens de la scène.
De plus, s’ajoute l’intervention d’un personnage également essentiel : Hall Buell, l’éditeur photographique, membre de la rédaction du journal The New York Times recadre la photographie. Il l’a centre autour de la jeune fille. Dès lors, les soldats à droite et en particulier le photographe qui réarme tranquillement son appareil disparaissent de la scène. La focalisation se concentre sur la jeune fille. D’autres photos montrent des soldats qui aident les enfants à s’éloigner de la fournaise. Nick Ut n’est pas le seul photographe témoin de l’événement. Un cameraman américain le filme en direct. Comme quoi une photographie n’est qu’un fragment de la réalité : son sens est toujours incomplet. Le photographe et l’éditeur insistent sur les responsabilités de l’armée américaine, engagée dans une « guerre sale » et donc illégitime. Une autre photographie de Nick Ut montre, l'instant d'après, un soldat américain aidant la jeune fille, dont les brûlures sont parfaitement visibles, à s'éloigner du lieu du drame. On compte cette fois six enfants.
Quel est l'intérêt historique du document ?
Elle montre à une grande partie du monde la réalité de la guerre. La violence n’est pas que du côté du Viêt-Cong, elle l’est aussi du côté des Américains, qui se désignent comme les « champions du monde libre ». Elle prouve l’usage du napalm, une essence gélifiée mêlée à d’autres substances et utilisé pour les bombes incendiaires. Il brûle les chairs jusqu’à l’os, en collant à la peau. L’armée américaine a utilisé massivement des armes chimiques de 1965 à 1970. L’armée sud-vietnamienne, son alliée, continue de le faire après cette dernière date. Les avions sud-vietnamiens sont absents de la photographie. Mais, le napalm qu’ils utilisent est fourni par l’armée américaine. La raison du bombardement n’est pas mise au clair : les Sud-Vietnamiens bombardent leurs propres citoyens. La présence des soldats américains leur fait porter exclusivement la responsabilité de la guerre et, en particulier, de l’usage du napalm. De toute façon, tout indique qu’il s’agit d’une opération combinée entre l’aviation sud-vietnamienne et les troupes terrestres américaines.
L’intérêt de la photographie vaut surtout pour l’écho qu’elle a eu dans la société américaine et le reste du monde. Beaucoup d’autres documents évoquent cet événement : photographies et films d’époque. La photographie doit être mise en relation avec l’ensemble des documents qui relatent l’événement.
Que nous apprend-il sur l'artiste ?
Le photographe tient une position ambiguë – d’ailleurs, les photographes portent l’uniforme des soldats américains : rendre compte de la guerre, de la souffrance des populations, mais symptomatique d’une quête esthétique et d’une quête du succès personnel. Il y avait d’autres photographes. Mais, en entrevoyant la jeune fille, il est le seul à avoir encore une pellicule. La petite fille coure, sort des volutes de fumées noires, les bras étendus, la bouche grande ouverte : « Super, moi je me tiens ma photo ». Il recherche le « scoop », la « photo-sensation ». Celle qui dit tout dans un instantané et un raccourci saisissants. Nick fait une prière pour avoir une bonne photo au tirage. Mais, le photographe de guerre est également au plus près de la réalité : « Si ta photo n'est pas bonne, c'est que tu n'étais pas assez près », s’exprimait Robert Capa. Il joue sa vie face au danger. Il peut en être victime.
Que nous apprend-il sur l'époque ?
C’est un document historique qui montre les ravages du napalm et les attaques sur les populations civiles qui ne représentent pas un objectif militaire. Cependant, c’est davantage une guerre psychologique. Combattre la guérilla Vietminh ou Viêt-Cong est difficile, ce qui entraîne des actions aveugles. Surtout, l’objectif est ici de désolidariser la population du Viêt-Cong.
Richard Pyle, chef du bureau de l’AP à Saigon, déclare que la photo « résume toute l’histoire du Vietnam, la guerre et son impact sur le pays et sa population, le déchaînement de la violence. Une violence contrôlée qui échappe à tout contrôle – Voilà ce qu’elle représente. Dans l’histoire de la photographie elle est emblématique. Elle raconte un aspect de la guerre du Vietnam qu’il fallait absolument révéler au public. Et elle le fait avec une dramaturgie incroyable, à la limite de l’insoutenable. » Il conclue : « Voilà pourquoi c’est devenu une icône. »
Quelle est sa portée historique ?
Le destin de la photographie. Elle a failli ne pas être publiée. Le responsable de l’AP à Saigon ne voulait pas la publier. Une règle non écrite de l’agence interdit de montrer des corps nus de face. La photo est trop violente pour le public américain. Finalement, au lieu de la jeter, il se ravise et l’expédie. Elle ne paraît que le 12 juin, mais à l’une du New York Times. Deux jours plus tard elle est à la une de nombreux journaux du monde entier.
L’impact de la photographie est immédiat et considérable. Il est négatif pour les Américains. Le président américain Nixon y voit un « coup monté », une manipulation des Sud-Vietnamiens. Un proche collaborateur témoigne : « Tout le monde en parlait, comme jamais on n’avait parlé d’une photo. Une petite fille innocente, les vêtements entièrement brûlés avec une évidence : c’était une attaque au napalm ». Mais, cela n’a pas forcément changé le cours de la guerre. Elle illustre l’influence croissante des médias, désormais acteur de l’opinion publique et de l’histoire. L’accusation est sans appel : le napalm provient de toute façon des Américains. Le choc n’est pas moins terrible dans l’opinion publique. Les protestations s’amplifient à mesure que la guerre se prolonge, puis commencent à s’essouffler. La photo provoque un sursaut des pacifistes en 1972.
Du côté du régime communiste, elle devient également une icône dans la lutte contre les Américains et les Sud-Vietnamiens et continue d’enraciner dans la conscience nationale vietnamienne.
Le destin du photographe. Le photographe accède à la célébrité à 21 ans et obtient le Grand prix de la photo reportage et le prix Pulitzer en 1973. Il participe de l’âge d’or du photojournalisme et du journalisme de guerre (commencé en 1856 avec Roger Fenton pendant la guerre de Crimée), comme Robert Capa.
Le destin de la principale victime visible. Elle gagne un nom public et devient elle-même une icône du pacifisme. Le photographe, pris de remords, se résous à sauver la jeune fille : « Je ne voulais pas qu’elle meure ». Il l’emmène dans un hôpital, alors qu’on ne veut pas la soigner : elle est tenue pour morte, le visage boursoufflé. Mais, brûlée jusqu’au troisième degré sur une grande partie du corps, elle survit après dix-sept interventions chirurgicales et quatorze mois d’hospitalisation et accédera avec le temps à une vie à peu près soutenable. Elle fait des études de médecine, devient citoyenne canadienne et ambassadrice de l’UNESCO. Elle dirige actuellement sa fondation qui vient en aide aux enfants victimes de la guerre. Au moins, un demi-million d’enfants vietnamiens naissent avec des déficiences liées à l’empoisonnement par les armes chimiques.
La photographie fait exister un événement réel autant qu’elle le crée. Il aurait pu rester dans l’anonymat de l’histoire.
Le destin de la guerre. La guerre du Vietnam se termine par la défaite des Américains et la victoire du Vietminh qui unifie l’ensemble du pays en 1976.
Mise en relation
Robert Capa
Le photographe lors de la bataille de Ségovie, printemps 1937, Espagne.
Photographe : Gerda Taro. Agence : Magnum.
Photographe américain d’origine hongroise. Une figure fondatrice et « héroïque » du photojournalisme. Robert Capa est le pseudonyme d’Endre Erno Friedmann. Il prend part à des moments historiques : les manifestations du Front populaire en France en 1936, la guerre d’Espagne en 1936, le débarquement anglo-américain en Normandie le 6 juin 1944… Alors que la guerre d’Indochine se termine, il saute sur une mine le 25 mai 1954.
Mort d’un milicien, 5 septembre 1936. Photographe : Robert Capa. Agence : Magnum. Une balle reçue à la tête abat un soldat loyaliste, défenseur du régime républicain et du Frente Popular, lors de la bataille de Cadix encerclée par les troupes insurgées : la guerre civile espagnole vient de commencer. La photographie a un retentissement international.
Deux autres photographies emblématiques de la guerre du Vietnam
Un crime de guerre : l’exécution du Viêt-Cong, Nguyen Van Lem, le 1er février 1968 par le général Nguyen Ngoc Loan, chef de la police sud-vietnamienne, en pleine rue, dans Saigon.
Photographe : Edward Adams. Agence : Associated Press.
Le massacre de My Lai. Le 16 mars 1968, neuf hélicoptères de combat américains transportant trois pelotons atterrissent près du village de My Lai. Le peloton, dirigé par le lieutenant William Calley, pénètre dans le village, peuplé de 700 habitants environ. Sous l’accusation d’avoir donné asile au Viêt-Cong, le lieutenant donne l’ordre de rayer le village et ses habitants. Les villageois n’opposent aucune résistance. Il n’y avait pas d’hommes, hormis des vieillards et de jeunes garçons. En deux heures, près de 500 personnes non armées, des hommes, des femmes et des enfants sont massacrés.
L’événement passe inaperçu pendant un an et demi jusqu’à ce qu’un soldat américain en fasse le récit à la télévision. C’est un des événements clés qui contribue à retourner l’opinion américaine contre la guerre. Le lieutenant seul est condamné à la prison à vie et aux travaux forcés en 1970. Il est libéré en 1974.