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HISTOIRE GEOGRAPHIE CITOYENNETE

La révolution nationale selon Pétain - commentaire

31 Mars 2010, 22:42pm

Publié par histege

LA REVOLUTION NATIONALE,

Philippe Pétain, discours du 8 juillet 1941

 

 

Cliquez pour consulter le texte du discours

 

INTRODUCTION

 

1. Bibliographie

 

* Maurice AGULHON, La République, 1932 à nos jours, Paris, "Histoire de France Hachette", 1990.

* René REMOND, Notre siècle, 1918-1988, Paris, Fayard, "Histoire de France", t. 6, 1988.

* Jean-Marie MAYEUR, La Vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, Paris, Le Seuil, "Points-Histoire", 1984.

* Michèle COINTET, Histoire culturelle de la France, 1918-1959, Paris, SEDES, 1988.

* René REMOND, Les droites en France, Paris, Aubier, 1982.

* Jean-François SIRINELLI, Histoire des droites en France, t. I, Politique, chap. V, "1919-1958. Le temps des droites ?" par Jean-Luc PINOL, p. 291 sq., Paris, Gallimard, 1992.

* Jean-Pierre AZEMA, De Munich à la Libération, 1938-1944, Paris, Le Seuil, 1979.

* Yves DURAND, La France dans la 2e guerre mondiale, 1939-1945, Paris, A. Colin, "Cursus", 1989.

* Robert PAXTON, La France de Vichy, Paris, Le Seuil, 1973.

* Jean-Pierre AZEMA et François BEDARIDA dir., Le régime de Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992.

* Olivier WORMSER, Les origines doctrinales de la Révolution nationale, Paris, Plon, 1971.

* Michèle COINTET-LABROUSSE, Vichy et le fascisme, Bruxelles, Complexe, 1983.

* Marc Ferro, Pétain, Paris, Fayard, 1987.

 

2. Contexte historique

 

         Le contexte historique est fortement bouleversé par la guerre depuis le commencement de l’année 1940.

 

         * La France est défaite militairement par l'Allemagne. Pétain a formé un nouveau gouvernement le 17 juin 1940. L’armistice qu’il signe le 22 juin (un deuxième est signé avec l'Italie le 24 juin) entre en vigueur le 25 :

                  - la France est coupée en deux : une zone occupée au nord, une zone "libre" au sud d'une ligne Pyrénées-Poitiers-Bourges-Chalon-Genève.

                   - l’armée française est démobilisée et réduite à 100 000 hommes.

                   - près de 2 millions de soldats français sont prisonniers en Allemagne, où ils demeureront jusqu'à la fin de la guerre.

                   - la France a l’obligation de verser à l'Allemagne une indemnité de 400 millions de francs par jour.

 

         * À Vichy, où le gouvernement s'est installé, les parlementaires (ceux qui restent près du gouvernement) sabordent la IIIe République le 10 juillet 1940. Tous les pouvoirs sont remis au maréchal Pétain, qui doit ainsi donner une nouvelle constitution à la France, « la constitution de l'Etat français ».

         Pétain jouit d'une immense popularité. Son appel à l'armistice ne l'a pas déconsidéré. La plupart des Français sont au contraire derrière lui.

 

         * La rencontre du 24 octobre 1940 entre Pétain et Hitler à Montoire inaugure une politique de collaboration avec l'Allemagne, sous la forte inspiration de Pierre Laval. Mais, le "dauphin" est désavoué et arrêté le 13 décembre 1940. L'événement est significatif des intentions de gouvernement du maréchal. Ce dernier trouve, peu après, un remplaçant dans l'amiral Darlan.

 

3. Présentation du texte

 

         Il s’agit d’un discours du chef de l'État français :

         * il est prononcé à la radio. L’utilisation de ce nouveau média — commencée par André Tardieu dans les années 30 — est un moyen puissant d'accéder directement et de façonner l'opinion publique.

         * il s’adresse aux Français. Il est significatif de la relation que Pétain noue avec eux : il incarne la France et les Français. Il s'adresse à eux personnellement, tel le chef de famille, le patriarche, dans un contrat personnel.

         * c’est un discours doctrinal.

        

4. Présentation de l'auteur

 

         Pétain est souvent l'auteur de ses discours. Dans celui-ci, le travail préparatoire est certainement dû à Lucien Romier et à Joseph Barthélémy, juriste réputé, garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la Justice depuis le 17 février.

 

         Philippe Pétain (1856-1951) :

         * d’origine familiale modeste : paysanne.

         * avant tout un militaire : carrière d'abord peu marquante jusqu'au déclenchement de la guerre en 1914 : a atteint le grade de colonel.

         * la guerre accélère sa carrière (se distingue au combat de Guise en août 1914), commande bientôt un corps d'armée en 1915. Se sort bien d'un rôle défensif à Verdun : point de départ d'une immense popularité, notamment chez les militaires, "le vainqueur de Verdun" (il n’est pas le seul général à se distinguer à Verdun).

         * en 1917, par suite de l’échec de l'offensive du général Nivelles sur le Chemin des Dames, il est nommé commandant en chef des armées. Il règle la question des mutineries :

                   - prend des mesures défensives, qui évitent l'envoi des hommes à la boucherie.

                   - ordonne des exécutions "exemplaires", qui montrent sa fermeté.

                   - améliore la condition du soldat engagé dans une guerre atroce.

         * maréchal de France le 20 novembre 1918.

         * sa carrière politique commence après la guerre. Il est apprécié pour son légalisme envers la République :

                   - artisan de la répression — violente — de la révolte dirigée par 'Abd el-Krim au Maroc (1925-26).

                   - après le 6 février 34, il entre dans le nouveau cabinet Doumergue comme ministre de la Guerre.

                   - c’est une période où beaucoup, notamment dans les ligues, voient en lui l'homme fort qu'elles recherchent.

                   - 1939 : mission, confiée par Daladier, pour renouer des relations diplomatiques avec l'Espagne franquiste, qui vient de gagner dans la guerre civile.

         * à partir de 1939, il reste dans les cabinets, au cœur des décisions :

                   - 18 mai 1940 : il est vice-président du Conseil dans le cabinet Paul Reynaud

                   - suites au désastre de l'année 40, Pétain, avec Weygand, pousse Paul Reynaud à la démission.

         * 17 juin 1940, Albert Lebrun, président de la République, appelle Pétain, qui veut l'armistice, à former un gouvernement qui sera le dernier de la IIIe République. Le chef ou père des anciens combattants est considéré comme un sauveur : la France et les Français remettent leur destin entre ses mains.

 

5. Problématique et plan

 

         Le nouveau régime qui naît le 10 juillet 1940, l'État français se donne ici une idéologie, un corps de doctrine, propre à recomposer un pays pleine déroute et à rendre à la France "sa mission impériale". Pétain avait reçu le 10 juillet la mission d'élaborer une constitution nouvelle. Le travail juridique et constitutionnel est confié à Lucien Romier et à Joseph Barthélémy qui préside une commission de 20 membres où on trouve des professeurs de droit, des parlementaires et des personnalités diverses.

 

I. Les fondements de la Révolution nationale

II. Le remembrement organique de la société française

III. Un État français personnalisé, hiérarchisé et autoritaire

        

 

I. LES FONDEMENTS DE LA REVOLUTION NATIONALE

 

1. La défaite de la France

 

La défaite militaire

 

         Pétain fait allusion à la défaite militaire, la « catastrophe » qui emporte le régime républicain. Le 1er septembre 1939 commence la campagne de Pologne, qui ne dure qu'une semaine. Les Français hésitent.

         Avec l'arrivée de l'hiver, Hitler préfère attendre avant de se tourner sur l'Ouest. La période de la "drôle de guerre" s'ouvre le 16 octobre. Elle durera sept mois.

         Les troupes allemandes opèrent un mouvement tournant par la Belgique, inspiré du plan Schlieffen de 1914, qui doit percuter le dispositif défensif français dans sa zone la plus faible : les Ardennes. La ligne Maginot s'arrête à l’abord Est de ce département. La force de pénétration est l'œuvre des divisions blindées autour de Sedan. Ensuite, un  coup de faucille immense vise à séparer les troupes alliées du Nord de celles du Sud. La stratégie française s'avère inefficace : faiblesse de l’artillerie blindée et surtout de l’aviation, insuffisante intégration du commandement militaire français et dissensions entre les alliés. L'offensive violente commence le 10 mai : la percée à Sedan réussit et les panzers de Guderian parviennent dix jours plus tard à Abbeville. Les soldats britanniques et français rembarquent ou embarquent dans des conditions désastreuses.

         Les Allemands poussent bientôt vers l'Ouest et le Sud. Pour les Français, c’est la débâcle. Le gouvernement français fuit à Tours, puis à Bordeaux. Le 22 juin 1940 l'armistice est signé à Rethondes.

 

La responsabilité de la défaite

 

         Pétain fait endosser la responsabilité de la défaite au régime républicain et désigne, « l'inconscience en matière de politique étrangère ». Un désastre diplomatique dans les négociations avec une politique attentiste à l’égard :

         * de l'Allemagne. La France ne sait pas réagir face à la politique de coups de force et de faits accomplis hitlériens. La reculade de Munich est ce qu’il y a de plus manifeste

         * de l'Italie. Après un accord Laval-Mussolini à Stresa, l'Italie forme l'axe Rome-Berlin

         * des pays d'Europe centrale : la France abandonne e llivre ses alliés à l'Allemagne, notamment la Tchécoslovaquie et la Pologne

         * de l'URSS. Après des tentatives de négociation entre la France et l'URSS, la méfiance reste réciproque : les Français et les Britanniques veulent détourner Hitler sur l'URSS. Staline signe finalement un pacte (germano-soviétique) avec Hitler le 23 août qui recèle aussi des clauses secrètes (partage de la Pologne)

         * des États-Unis, qui restent isolationnistes

         * de la Grande Bretagne, avec laquelle les dissensions sont nombreuses. La France finit par se rallier à la politique de conciliation et d'apaisement de la Grande-Bretagne.    

         Pétain accuse donc les gouvernants et surtout :

         * le Front populaire (il fait le procès de Léon Blum, à Riom) qu'il accuse d'un coupable laisser-aller : une politique d'armement insuffisante. La chose n’est pas vraie, puisque Blum a au contraire financé une politique d'armement (en fait la France a 94 divisions et l'Allemagne 105). L’attitude du Front populaire lors de la guerre d'Espagne est également incriminée

         * il s'en prend aussi à Daladier, cabinet radical, avec sa politique munichoise, perçue comme une capitulation diplomatique face à Hitler.

         * la France est divisée entre les bellicistes et un fort courant pacifiste. Munichois et anti-munichois : on voit d'abord un ennemi dans le communisme soviétique, notamment au moment du pacte germano-soviétique.

         * plus largement, Pétain accuse la politique incohérente des "démocraties" face à l'offensive hitlérienne. Munich, le 29 septembre 1938, permet le dépeçage de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne : la France et la Grande Bretagne sont discréditées.

         On comprend tardivement, au milieu de 1939, qu'Hitler est un véritable danger. Le pacte germano-soviétique lève les dernières illusions : Hitler ne peut plus être arrêté par des démocraties divisées.

 

2. L'effondrement de la IIIe République

 

         La défaite militaire foudroyante emporte tout aussi rapidement le régime de la IIIe République : « Le régime (...) qui vient d'être détruit par la défaite ». Pétain trouve des raisons chroniques à un effondrement si subit, notamment une incapacité à mener une politique étrangère efficace et une incapacité à mener la guerre et à obtenir la victoire. Pour lui, le régime parlementaire n'est pas le meilleur pour conduire un pays à la victoire : il oublie en partie la victoire de 1918, même si elle est en partie en trompe l'œil.

         En fait, Pétain fait le procès de la IIIe République. Pour lui, les causes de la défaite sont profondes.

 

Le dérèglement dans le fonctionnement du régime

 

L'impossible réforme de l'Etat

 

         Pétain évoque un régime, « condamné depuis longtemps par l'évolution générale et accélérée des esprits et des faits dans la plupart des pays d'Europe, et par l'impossibilité démontrée de se réformer. »

         Le Parlement — Sénat et Chambre des députés — non seulement ne remplit pas véritablement son rôle législatif, mais a de plus asphyxié le pouvoir exécutif. En effet, l'évolution du régime a marqué une profonde avancée de la puissance politique de la chambre, qui ne se cantonne pas dans des attributions législatives. Le pouvoir exécutif s'est discrédité ; le fait est scellé par l'affaire Millerand en 1923.

         Le Parlement et les gouvernements n'ont pas su affronter la crise multiforme des années 193O. Ils montrent à cette occasion la limite de leur efficience. Les gouvernants n'ont pas su, au bout du compte, corriger le déséquilibre grave des pouvoirs et les disfonctionnements qu'il a entraînés. La réforme des institutions, la réforme de l'État est restée lettre morte. Le régime paraissait impossible à réformer.

 

La dénonciation de la pratique des décrets-lois

 

         « En France, il (le régime parlementaire) donnait tous les signes de l'incohérence attestée par la substitution chronique des décrets-lois à la procédure législative régulière. »

         La pratique des décrets-lois se substitue à la réforme constitutionnelle. En principe rare et ponctuelle, elle prend une allure massive et durable, notamment à partir du cabinet Doumergue, en 1934. Les décrets-lois régissent au total la moitié du temps des cinq dernières années du régime. Le gouvernement, obtenant une puissance législative occasionnelle, pouvait ainsi vaquer aux affaires, sans passer par le parlement. Ce ne sont pas les pleins pouvoirs. En fait, la pratique des décrets-lois ne renforce guère l'exécutif : ce n'est qu'un pis-aller technique qui montre bien le mauvais fonctionnement du régime.

 

Antiparlementarisme

 

         L'antiparlementarisme est le volet essentiel de la critique pétainiste. Pétain s’oppose au pouvoir du nombre, à la souveraineté populaire, marqués selon lui du sceau de l’irresponsabilité et de l’incompétence : « un régime où le principe de l'irresponsabilité était posé de la base au sommet de l'Etat (...) C'est pourquoi nous en sommes sortis par la porte du malheur. » Le parlementarisme se fonde sur la souveraineté populaire, par l'élection au suffrage universel. Il est le dépositaire par délégation de la souveraineté populaire : c'est la base du pacte entre le pouvoir législatif et les Français. Le chef nominal de l'exécutif, le président de la République, est un produit indirect de la souveraineté populaire puisqu'il est élu par les deux chambres réunies en congrès.

 

La fin du régime

 

         Le régime de la IIIe république a bénéficié d'une évidente longévité qui traduit, malgré tout, une importante adhésion au régime, notamment de la part des gouvernants. Mais, il est fatigué.

         Ce sont surtout les désastres militaires de mai et juin 1940 ont raison du régime. Surtout, il trouve peu de défenseurs parmi des parlementaires et des dirigeants qui devaient être ses défenseurs naturels. Même les parlementaires rejettent la responsabilité des événements sur un régime en pleine déliquescence : des arrière-pensées profondes ressurgissent au milieu du traumatisme. Chacun règle ses comptes avec le régime.

         Pierre Laval orchestre la révision constitutionnelle, qui met à mort le régime et le remplace par un régime autoritaire. Pour cela, il faut une majorité de parlementaires. 649 votants sont réunis (sur un total de 932, les communistes étant déchus par Daladier) à Vichy. Le 10 juillet, l'Assemblée nationale approuve à près de 85 % (569 pour, 80 contre, 17 abstentions) la révision. L'Assemblée et le régime se sabordent et remettent entre les mains du maréchal Pétain, un pouvoir régulier et légal— les pleins pouvoirs. Pétain est chargé de promulguer une nouvelle constitution, qui devra garantir les droits de la famille, du travail et de la patrie et qui devra être ratifiée par la nation et appliquée par les nouvelles assemblées (la ratification et les assemblées ne verront jamais le jour).

         Le 11 et 12 juillet Pétain prend quatre actes constitutionnels qui lui donnent tous les pouvoirs, dont le pouvoir constituant.

 

3. La Révolution nationale

 

                   Pétain évoque le tournant de 1940 comme une des « grandes crises de notre histoire. Voilà le fait qui domine et commande toute la Révolution nationale », une crise qui n'admet de solution, selon lui, que par une grande révolution, une nouvelle révolution, une « révolution nationale » :

         La révolution nationale naît de la défaite, de l'humiliation nationale et de la crise de régime. La crise est son creuset et révolution nationale se veut une réponse à la crise : là est sa « légitimité » selon Pétain qui en donne la définition : « La révolution nationale signifie la volonté de renaître, affirmée soudain au fond de notre être, un jour d'épouvante et de remords ; elle marque la résolution ardente de rassembler tous les éléments du passé et du présent qui sont sains et de bonne volonté, pour faire un Etat fort, de recomposer l'âme nationale dissoute par la discorde des partis et de lui rendre la conscience aiguë et lucide des grandes générations privilégiées de notre histoire, qui furent souvent des générations de lendemain de guerres civiles ou de guerres étrangères. » Plusieurs caractères en découlent :

         * l'idée de réaction politique, une révolution politique : la révolution nationale se veut antiparlementaire et anti-républicaine, même si Pétain n'affirme pas clairement ce deuxième caractère. Elle se veut anti-démocratique, voire anti-politique. Pétain rejette les principes mêmes qui fondent une vie politique démocratique, comme la représentation populaire par l'élection et le travail parlementaire, le jeu des partis dont la concurrence et la pratique se conçoivent dans le sens d'une conquête légale du pouvoir. Pour lui, les partis sont des éléments de division.

         * l'idée de renaissance passe par le rassemblement qui s'appuie sur deux éléments :

                   - l'idée de purification (sorte de moralisation et d'ordre moral), « éléments sains ».

                   - la France éternelle, incorruptible, « l'âme nationale » ; le salut de la patrie ou le caractère national est le principal mot d'ordre, le dénominateur commun de Pétain et de la Révolution nationale : il veut garder le cap de la défense patriotique, « le salut de la patrie (...) est la suprême loi ».

                   - les grandes générations des lendemains, la question générationnelle : allusions évidentes aux bonapartismes, Napoléon Ier clôt la première révolution ; Napoléon III termine la révolution, en mettant fin en 1851 à la IIe République ; la fondation du régime en 1870-71 : l'action d'un Gambetta qui veut poursuivre la guerre, mais aussi l'assemblée très conservatrice de 1871 (puis l'ordre moral avec Mac-Mahon à partir de 1873).

         * la solution de l'État fort.

         * la révolution nationale est d'abord une constitution, qui se veut œuvre de durée : « sera œuvre organique et durable ».

        

         La révolution nationale a pour objectif de recomposer l'ordre social.

 

 

II. LE REMEMBREMENT DE LA SOCIÉTÉ FRANCAISE

 

         La phrase clé est prononcée ainsi : « j'entends remembrement organique de la société française ». Les termes utilisés désignent l'œuvre de remise en ordre : reconstruction, « recomposition du corps social », « remembrement organique ».

 

1. Le peuple, selon Pétain : un conglomérat

 

         Pétain utilise les notions de peuple, de patrie et quelque fois de nation. Le peuple est une entité mal définie.

         Quels sont les éléments constitutifs du peuple ?

         * il est formé par un ensemble « de familles, de professions, de communes, de responsabilités administratives, de familles spirituelles ».

         * c'est un ensemble de « réalités » : « la réalité familiale, professionnelle, communale, provinciale et nationale ».

         * les « groupes naturels » sont le fondement constitutif de l'État, du peuple et de la nation.

 

         Le peuple se compose de plusieurs segments — certains étaient déjà compris au moment de la remise des pouvoirs le 10 juillet : travail, famille et patrie :

         * la famille : on ne parle pas d'individu, mais de la cellule familiale de base, qui donne la nature de l'ordre social par excellence. L'ordre social prôné par Pétain est une continuation de la vision familiale des rapports sociaux, relation père-enfants, fécondité de la famille paysanne... Le comportement familial prime sur le comportement individuel : anti-individualisme et primauté du collectif et du communautaire. C’est en mouvement inverse de l'évolution historique : contre le citoyen qui s'est dégagé des contingences et se fonde sur le principe de l'égalité, de la liberté et de l'universalité (des droits). La Charte du Travail ne sera publiée qu'en octobre 1941.

         * les professions (le travail) : les groupements se font par professions, avec affirmation du caractère corporatiste dans l'organisation du travail. L'homme se définit ici et avant tout par le travail et par la position qu'il occupe dans la production. Pointe ainsi une forme d'anticapitalisme simpliste en liaison avec le corporatisme. Le travail par ailleurs est essentiellement vu sous l'aspect du retour à la terre. Une seule corporation voit le jour, la corporation paysanne décembre 1940 (avec des syndics au niveau local et régional), rapidement intégrée au gouvernement.

         * les responsabilités administratives, dont le sens est vague. On peut y mettre beaucoup de choses : les différents emplois administratifs (maire, préfets...) ou les différentes institutions administratives prévues (assemblées...). L'administration joue un rôle essentiel, dans le sens d’un encadrement administratif de la population : le peuple est une population administrée.

         * les « familles spirituelles » : élément en partie paradoxal, en considération de la volonté d'homogénéité contenue dans la révolution nationale. Les sensibilités religieuses et politiques se rapportent ici au maurrassisme, au barrésisme, au catholicisme social..., à l'exclusion des formations de gauche, notamment socialistes et communistes.

         * les communes : pour Pétain, la commune est une fédération de familles.

         * les provinces. Ce sont les réalités d'Ancien Régime, les "pays" (d'État, d'élection...), des « réalités vivantes », à la fois administratives et sociales, dégagées patiemment par l'évolution historique. On remarquera l’absence significative du département, trop abstrait et trop attaché à la Révolution française et qui ne serait pas une réalité vivante, créée patiemment par l'histoire.

         * la nation : l'ensemble le plus vaste dans la définition du peuple.

 

         Les principaux caractères de ce peuple se déclinent de la sorte :

         * il est très composite puisqu'il regroupe des éléments qui ne se situent pas au même niveau : la définition n'est pas cohérente. On a aussi bien des familles, que des « réalités administratives », ce qui se comprend moins facilement. Différents degrés dans l'échelle socio-spatiale sont représentés : la famille, la commune, la province, la nation. Mais, c'est une définition lacunaire puisque des éléments sont significativement exclus comme l’individu.

         * « réalité » et « nature » donnent à penser à un ordre issu du réel et de l'ordre naturel. Le peuple est ce qui est donné dans la réalité et qui est donné comme une sécrétion de l'ordre naturel. Pétain parle :

                   - de la « profondeur des soixante-générations » : continuum générationnel

                   - « de tout ce qui dans le peuple représente la durée qui relie le passé à l'avenir et assure la transmission de la vie, du nom, des biens, des œuvres, en même temps qu'un idéal et une volonté commune et constante » : sentiment patrilocaliste,

                   - du « principe immuable qui est le fondement de la formation, du développement de la grandeur et de la durée de tous les groupes naturels » : dimension de l'héritage et de l'hérédité ; exaltation de la durée et de la grandeur ; principe de formation historique longue. Tout ceci, montre que cette « philosophie » est intrinsèquement conservatrice.

 

2. Le peuple, une construction organique, corporatiste et hiérarchique

 

         Le contrôle communautaire est l’aspect essentiel :

         * les éléments constitutifs du peuple s’articulent entre eux pour en faire un tout organique. Ces éléments ne sont donc pas autonomes et n'ont de raison d'être que de faire fonctionner le tout (principe de l'organe) : c’est une vision clairement organique de l'ordre social

         * c’est un ensemble de fédérations successives : famille, commune-pays, provinces...

         * c’est une construction corporatiste, faite de métiers, de professions et de "communautés de travail" (c’est-à-dire d’entreprises), fonctionnant tel un autogouvernement corporatiste

         * la définition du peuple est symptomatique et en partie déroutante : « le peuple est une hiérarchie ». Chacun a une place assignée dans la hiérarchie et obéit à un rapport hiérarchique. La hiérarchie fait le liant social, la cohésion sociale et l'ordre social : une hiérarchie dégagée par la « nature » et l'histoire. La hiérarchie est définie par la position familiale, la position professionnelle et la position administrative.

         Le peuple est un ensemble d'emboîtements et obéit à la vision pyramidale qui culmine dans le chef. Pétain cherche, à sa façon, à remettre le corps social sur ses pieds, comme dans la quête du miroir brisé.

         Une sorte de société immobile, froide (telle qu’elle est désignée par Claude Lévy-Strauss et reprise par Émmanuel Le Roy-Ladurie) se dessine ainsi. Paradoxalement, Pétain la désigne comme animée d’un mouvement ou d'un élan produit par l'organicité, l'articulation fédérale et la hiérarchie. Tout cela concourt à la création de la patrie : valeur suprême, inconditionnelle (patrie des générations, mais spécialement identifiée au sol, à la ruralité...). La patrie serait un ensemble d’éléments de base. Ceux-ci, qui regroupés de manière organique, fédérale et hiérarchique, seraient à la fin producteurs de mouvement.

 

3. L'école et le contrôle social

 

         L'action de l'école s’ajoute au contrôle communautaire et hiérarchique. L’école a, de manière symptomatique, davantage un rôle d'éducation — une éducation elle aussi profondément conservatrice — que de réelle instruction ; cette dernière étant principalement entendue dans un aspect technique, même si elle n'est pas formulée dans le discours de Pétain.

         * l'école prolonge la famille, faisant suite à l’inspiration première de la famille : "elle doit faire comprendre à l'enfant les bienfaits de l'ordre humain qui l'encadre et le soutient"

         * l'école prolonge la constitution, qui a « une vertu d'enseignement », malgré une proclamation inverse dans le discours de Pétain : « la constitution couronne l'œuvre de l'école ». Il se targue d'éduquer personnellement les Français, à travers la constitution et ses discours. L’école, en réalité, en est le relais et doit mettre en œuvre la pédagogie constitutionnelle

         * l’école exalte le beau, le grand, le durable, pour assurer la « continuité de la patrie ».

         * l’école enseigne le « respect des croyances morales et religieuses, en particulier de celles que la France professe depuis les origines de son existence nationale » : imprégnation religieuse catholique, anti-laïcisme, vertus patriotiques et nationales se conjuguent

         * l’école éduque et encadre la jeunesse, forme de jeunes hommes de bonnes familles, "adéquats". L’école joue un rôle déterminant dans le contrôle social : respect du père, du maître d'école, du curé, du chef d'entreprise, du chef militaire.

 

         En matière sociale, la pensée de Pétain :

         * ne présente rien d'original. Certains éléments sont, par exemple, déjà présents dans le francisme de Marcel Bucard.

         * est réactionnaire et cherche à promouvoir l'ordre social le plus ancien, issu de l'Ancien Régime, mais sans les distinctions sociales marquées avec l'aristocratie ou encore le clergé, en exhumant une France profonde, la France rurale et paysanne.

         * représente une « révolution » traditionnaliste, "restauratrice", conservatrice. Avec la débâcle (mouvements de populations), l'occupation de plus de la moitié du territoire français par les Allemands, Pétain veut recomposer l'ordre social sur ses cohésions de base, le substrat : le reste a été emporté par la défaite et le traumatisme.

 

 

III. UN ÉTAT FRANCAIS PERSONNALISÉ, HIERARCHISÉ ET AUTORITAIRE

 

         Une constitution vise généralement à définir :

         - la nature du pacte qui lie les hommes aux pouvoirs.

         - les pouvoirs, dans leurs compétences et leurs relations.

         En cette matière, le discours du maréchal Pétain souffre d'une indigence évidente : sa constitution qui crée l'État, l'État hiérarchique est le résultat du remembrement du corps social, fondé sur la hiérarchie et l'autoritarisme, sans ambiguïté : « J'ai dit à maintes reprises que l'État issu de la Révolution nationale devait être autoritaire et hiérarchique ». Deux termes reviennent principalement : hiérarchie et autorité. Comment Pétain légitime-t-il son pouvoir ? Quelle est son origine ?

 

1. Autorité et légitimité

 

         Le problème principal est celui de la légitimité et de l'autorité. La légitimité est dans l'autorité :

         * l'abandon de la souveraineté populaire, droit sacro-saint acquis sur un siècle de combats (1789-1880) : l'autorité ne vient pas du nombre, du suffrage (vote). Il s’agit là d’une réaction profonde contre le principe de la souveraineté nationale et le principe des droits de l'homme et du citoyen, contenus dans la déclaration des droits de 1789. Pétain raille le « citoyen, juché sur ses droits » : ainsi veut-il des hommes mus plus par les devoirs que les droits. Les devoirs (communautaires et nationaux) sont supérieurs aux droits. Cela indique le sens du pacte social, qui mène vers une sujétion au pouvoir.

         La légitimité procède directement de l'ordre social, fondé sur les groupes naturels. Ainsi est-ce une autorité naturelle ; ce que Pétain appelle « l'autorité positive » :

         * l'autorité comprend normalement (plus que la notion de pouvoir) l'idée d'un pacte :

                   - l'idée du meilleur : le détenteur de l'autorité recèle des qualités intrinsèques

                   - l'idée de la reconnaissance collective des qualités du détenteur de l’autorité

         * dans la pensée de Pétain, il n’y a pas de véritable pacte puisque que l’autorité « doit procéder d'abord d'un principe immuable », issu des « groupes naturels ». Et elle procède de l'hérédité, selon la liaison passé/présent.

         * l'autorité, ici, s'oppose à la liberté : des libertés, à l'ancienne, et non la liberté comme principe abstrait (qui entre dans le triptyque républicain, avec une égalité elle aussi bannie : le caractère anti-républicain est manifeste).

         * l’ « autorité positive » recèle une contradiction : le droit positif qui culmine dans les principes de 1789 s'oppose au droit naturel, qui est davantage prôné par Pétain.

 

2. La sélection des élites, hiérarchie et responsabilités

 

         La révolution nationale est populiste dans la définition du corps social, mais anti-populaire et foncièrement élitiste dans le domaine politique : le peuple n'a pas de véritable existence politique.

         La sélection des élites se fait en reprenant la hiérarchie « naturelle » qui préside dans l'ordre social, selon le principe des services rendus à la communauté.

         La responsabilité existe à tous les niveaux (en fait, il n'en est qu'une au sommet). Il y a apparence d'autogouvernement à plusieurs niveaux : le 11 juillet 1940, Pétain annonce sa volonté de restaurer les « provinces » avec un « gouverneur ». En fait, en avril 1941, il crée des préfectures régionales (des régions qui regroupent des départements). Des commissions administratives départementales remplacent les conseils généraux élus. La centralisation étatique est renforcée au bout du compte.

         Il s’agit, en somme, d’une sorte de gouvernement oligarchique : le gouvernement d'un petit nombre, avec alliage d’un gouvernement monarchique (sans le roi) et d’un gouvernement militaire :

         * « un petit nombre conseille » : fonction de conseil seulement.

         * « quelques uns commandent » : à chaque niveau, un responsable qui commande et qui a des comptes à rendre au supérieur immédiat, ainsi jusqu'à Pétain lui-même. Le pouvoir vient d'en faut.

         * « au sommet un chef qui gouverne » : pas de président de la République et de véritable gouvernement (autonome). C’est le gouvernement d'un seul, à la fois chef de l'État et chef de gouvernement. Dans la réalité de l’exercice du pouvoir, il y a un dualisme entre :

                   - Pétain et son gouvernement d’une part

                   - et son cabinet personnel d’autre part.

         Pétain voudrait s'opposer au découplage (irresponsabilité de la base au sommet) qui s'est institué entre les parlementaires et les gouvernants de la IIIe République et la population. En fait, Pétain institue un autre découplage.

 

3. Un pouvoir personnalisé : la mystique du chef

 

         « Le goût de la responsabilité est le principe distinctif du chef ». Ceci témoigne de la naissance du culte du chef, du mythe Pétain, l'homme simple, l'homme qui s’adresse directement aux Français et les connaît le mieux (proche d’eux comme il l'a été des soldats) : la déférence est presque charismatique (vieux roi capétien était guérisseur, thaumaturge), religieuse ou sacrée. Par ailleurs, Pétain est auréolé comme le "sauveur", portant à la fois une part de messianisme et rédemption.

         Le parlementarisme étant accusé de tous les maux, tout est investi au profit de l'exécutif. L'État fort consiste avant tout dans un homme fort et se résume dans un simple exécutif très fort, un pouvoir absolu qui concentre tous les pouvoirs, négation du principe de la séparation des pouvoirs : législatif, exécutif, judiciaire et constitutionnel. L'autoritarisme procède du dérèglement du régime, mêlant caractère plébiscitaire, anti-parlementarisme des ligues et exigence d'un pouvoir fort. L'État fort ne se fonde pas sur l'existence d'un parti, à l’instar du fascisme : c’est là, une différence importante entre le pétainisme d’une part et le fascisme et le nazisme d’autre part. Cependant, la personnalisation du pouvoir l'apparente aux pouvoirs fascistes apparus dans l'entre-deux-guerres.

         C’est un pouvoir d'inspiration monarchique, césarienne et militaire. Pouvoir personnalisé, charismatique, d'origine irrationnelle, Pétain, le chef, le père, le patriarche, le guide incarne la nation et le destin national, l'unanimité nationale selon une posture mystique : l'acte constitutionnel premier du 11 juillet 1940 montre d'emblée le caractère personnel et monarchique du pouvoir : « Nous, Philippe Pétain, maréchal de France, chef de l'Etat français ». Pacte direct, sans intermédiaire, entre Pétain et le peuple (il dialogue, comme De Gaulle le fera, seul avec la France). L'acte 4 du 12 juillet institue un "dauphin", d'abord Laval, puis Darlan, à partir de février 1941. La délégation du pouvoir est faite personnellement au maréchal Pétain : celui-ci institue la prestation de serment à l'été 1941 pour tout homme qui veut briguer une responsabilité.

         S’observe ainsi le caractère anti-politique profond de Pétain, notamment à l’égard des pouvoirs et des institutions démocratiques : pas de chambres.

 

 

CONCLUSION

 

         Pétain, dans ce discours, veut donner un corps de doctrine au nouveau régime, un programme idéologique et théorique. Il chercher à brosser les contours de ce nouveau régime.

         La part de la conjoncture est considérable : la révolution nationale naît dans la défaite militaire et l'effondrement d'un régime. Le but est de restaurer la mission impériale (idée d'Empire colonial à sauver est décisive chez Pétain), c'est-à-dire la vocation à l'hégémonie de la France, à être la meilleure, principe qui engagera pour partie Pétain dans la voie de la collaboration pour partager le règne de l'Allemagne. La révolution nationale traduit la conception d'une renaissance passéiste, avec retour à l’âge d’or, celle d’une « France éternelle ».

         L'idéologie prônée dans ce discours qui définit la Révolution nationale ne traduit pas l’influence de mentors. Elle appartient au maréchal lui-même, qui a toujours tenu les rênes d'un gouvernement personnel. La pensée n’est ici guère originale : Pétain montre une faiblesse évidente dans le domaine de la pensée politique. Au contraire, triomphent une sorte d' « anti-politisme » et de syncrétisme, un conglomérat, qui emprunte son inspiration à plusieurs sources :

         - des archaïsmes

         - un capitalisme "naïf"

         - une orthodoxie maurrassienne, même si Maurras n'a jamais eu l'influence politique personnelle qu'il espérait sur le maréchal Pétain.

         - des germes de "fascisme à la française".

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