Naissance du monde musulman - 5e - 2010
NAISSANCE DU MONDE MUSULMAN
Chap 2 p. 26-43
I. MUHAMMAD FONDE UNE NOUVELLE RELIGION
La lecture du texte de Tabarî permet de comprendre comment Muhammad est devenu un prophète.
L’événement se place dans la péninsule arabique (dans la région du Hedjaz), dont la majeure partie est désertique. Les hommes sont essentiellement nomades. Une partie sont sédentaires et vivent, par exemple, dans des cités-oasis comme La Mecque.
Politiquement : deux empires au Nord (byzantin et perse), quelques petits royaumes, des cités et surtout des tribus (petit peuple disant descendre d’un ancêtre unique).
Religieusement : la plupart des Arabes sont polythéistes (plusieurs dizaines de divinités : Allah, déesse Al-‘Uzza…) ; une minorité est monothéiste, soit juifs, soit chrétiens. Au nord, du côté de la Perse, s’exerce l’influence du mazdéisme (dieu Ahura Mazda, manichéisme, rôle de Zoroastre).
Muhammad (ou Mahomet, terme sous lequel il est le plus connu en français, après avoir transité par le turc) est un Arabe de la Mecque, né vers 570, tôt orphelin et élevé par son oncle. Il doit travailler comme caravanier, notamment pour une riche marchande qu’il épouse par la suite, Khadidja. Dans un univers polythéiste, il fait partie d’un groupe qui tend vers le monothéisme (les hunafâ).
En 610, il raconte avoir rencontré l’ange Gabriel sur le mont Hîra : ce dernier lui annonce qu’il n’existe qu’un seul dieu, Allah qui l’a choisi pour être son prophète (un homme choisi par un dieu pour être son porte-parole auprès des autres hommes) auprès des hommes. C’est la révélation.
Mais, les habitants de La Mecque refusent de le suivre. Il doit se réfugier dans l’oasis de Yathrib, future Médine, en 622 : c’est l’hégire (« émigration », « fuite »), date choisie comme point de départ d’un nouveau calendrier par les musulmans.
Une longue guerre se déclenche entre les musulmans et les polythéistes. En 630, Muhammad entre en vainqueur à La Mecque : il fait détruire les idoles (statues des dieux), comme Moïse, sauf la pierre noire, apportée dit-on par le premier monothéiste, Abraham. C’est un objet de pèlerinage qui sera maintenu.
Muhammad meurt en 632. La plus grande partie de l’Arabie est devenue musulmane. Mais, un problème se pose : qui choisir comme calife, successeur de Muhammad (c’est-à-dire légitime pour exercer le pouvoir religieux et politique sur l’ensemble des musulmans) ? Deux camps se dessinent définitivement (jusqu’à aujourd’hui) :
- les chiites : partisans de ‘Alî (neveu et gendre de Muhammad), puis de ses descendants
- les sunnites : partisans d’Abû Bakr (1er calife), puis de Muawiyya.
II. QU’EST-CE QUE L’ISLAM ?
islam = « soumission à Dieu » (c’est-à-dire croyance dans l’existence d’un dieu unique, avec obéissance à son égard).
musulman = croyant de l’islam (muslim en arabe). (rq : par extension, tout croyant monothéiste).
Le Coran
L’ensemble des paroles d’Allah, transmises successivement par l’ange Gabriel à Muhammad, est mis par écrit en 653 sur ordre du calife Othman pour former le livre sacré des musulmans, appelé Coran (c’est-à-dire « récitation » en arabe) : rédigé en arabe, il est constitué de 114 sourates (chapitres), regroupant des versets (prose poétique).
Ensuite, se sont ajoutés les hadiths, c’est-à-dire l’ensemble des paroles et des actes de Muhammad, qui sert d’idéal religieux et humain à tout musulman.
Le Coran et les hadiths forment la tradition, c’est-à-dire la base de la religion, de la loi religieuse (sharia) et de la vie sociale des musulmans.
Pour les musulmans, le Coran se place dans la continuité de la Bible :
- Torah (« Ancien Testament) des Hébreux/juifs
- Évangiles (« Nouveau Testament) des chrétiens
- Coran (« Dernier Testament »).
C’est donc l’histoire du monothéisme qui se poursuit, révélée par la succession des prophètes hébreux (Abraham, Moïse…), chrétiens (Jean-Baptiste, Jésus) et musulman (Muhammad). Muhammad est considéré alors comme le terme du cycle de la prophétie (dernier des prophètes, « sceau des prophètes »).
|
hébreu |
chrétien (en français) |
musulman (en arabe) |
nom du dieu unique |
Yahwé/Elohim |
Elohim |
Allah |
nom de quelques prophètes |
Abraham |
Abraham |
Ibrahim |
Moshe |
Moïse |
Moussa |
|
Yoshua |
Jésus |
Aïssa |
L’attitude des musulmans se marque par la :
- tolérance à l’égard des juifs et des chrétiens (qui forment avec les musulmans les gens du Livre, Ahl al-Kitâb), mais avec soumission à un impôt particulier
- lutte contre les adeptes des religions non-monothéistes, en particulier les polythéistes et les animistes : obligation de se convertir à l’islam (sinon peine de mort ou fuite).
Les piliers de l’islam
Pour être musulman, il faut suivre les 5 piliers :
● le 1er est fondamental : profession de foi (shahada ou « témoignage ») : être monothéiste (croire en l’existence d’un dieu unique, Allah) et croire en la prophétie (de Muhammad), ce qu’indique l’expression : « il n’y a de dieu que dieu et Muhammad est son prophète ».
● ensuite :
- 2e : prière (salât) : prier 5 fois par jour en direction de pierre noire à La Mecque
- 3e : ramadan (carême) : jeûner pendant le mois de ramadan, c’est-à-dire s’abstenir de boire et de manger du lever au coucher du soleil
- 4e : aumône (zakkât) : donner aux pauvres (charité)
- 5e : pèlerinage (hâjj) : aller en pèlerinage à La Mecque (si possible).
Il est des obligations et des interdictions supplémentaires : ne pas manger de sang, de porc, des animaux tués accidentellement (non sacrifiés) ou sacrifiés par des païens (polythéistes), ne pas boire d’alcool, ne pas jouer au jeux de hasard…
Un musulman peut avoir jusqu’à quatre femmes à condition d’être juste avec elles.
Un lieu de culte : la mosquée
Schéma de la mosquée de Kairouan (Tunisie).
La mosquée (masjid, jama’â) est le lieu de culte des musulmans. Muhammad a recommandé aux musulmans de se réunir le vendredi pour prier ensemble. Dès le VIIe siècle, des mosquées sont construites sur le modèle de celle qu’il a fait construire à Médine. Elles sont avant tout des lieux de prière. Mais, peuvent s’y ajouter un enseignement religieux (école coranique ou université, madrasa), un tribunal (où le cadi rend la justice) et devenir un lieu d’hébergement pour les pauvres et les voyageurs.
- muezzin (muaddîn) : homme qui appelle les musulmans à la prière, du haut du minaret
- imâm : directeur de la prière
- mirhâb : niche pratiquée dans le mur de la qibla, qui indique la direction de la pierre noire (La Mecque)
- minbar : chaire (en pierre ou en bois) sur laquelle l’imâm prend la parole.
III. UN GRAND DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET CULTUREL
1. L’empire musulman
Carte de l’empire musulman.
Les conquêtes sont vastes et rapides (voir carte) :
- supériorité militaire de la cavalerie arabe, dirigée par d’excellents généraux
- enthousiasme des Arabes qui sont devenus musulmans pour étendre la nouvelle religion par la guerre sainte (le jihâd, « l’effort » pour croire en dieu).
- importance des conversions à l’islam pour les peuples vaincus (Syriens, Égyptiens, Persans, Berbères…)
Période |
Règnes ou dynasties |
Capitale |
632-661 |
Rashidûn |
La Mecque |
661-750 |
Omeyyades |
Damas |
750-1258 |
Abbassides |
Bagdad |
L’empire contrôle le passage entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe.
2. Le cœur du commerce mondial
L’empire musulman devient le cœur du commerce mondial. Il s’enrichit grâce au commerce (épices, or, tissus, esclaves…). Sur les routes de campagne, on poste des caravansérails (fundûq) où s'échangent les marchandises. Grâce au commerce, les villes (médinas en arabe) s’enrichissent et se développent. Des villes nouvelles sont créées (Bagdad, Kairouan, Le Caire…).
BAGDAD AU XIIe SIECLE : UNE VILLE PROSPÈRE
La ville s'étend sur les rives du Tigre à l'est et à l'ouest. Sur la rive occidentale, elle est entièrement en ruine. C'était la partie de la cité peuplée en premier. Sur la rive orientale, les constructions sont récentes. Néanmoins, Bagdad comporte dix-sept quartiers en dépit des ruines : chaque quartier est une ville isolée où se trouvent deux ou trois bains, et dans huit quartiers se dressent des mosquées où est célébrée la prière du vendredi. [...] D'ordinaire, il y a deux ponts sur le Tigre : l'un près des palais califiens et l'autre en amont. La traversée du fleuve est continuelle à cause du nombre de gens qui veulent le franchir. [...] Entre [le quartier d'] ash-Shâri et le quartier de Bâb al-Basra se trouve la marché de l'hôpital, petite ville qui renferme l'hôpital célèbre de Bagdad qui se trouve sur la rive du Tigre. Les médecins y donnent des consultations tous les lundis et jeudis : ils examinent les malades et leur prescrivent le traitement approprié. Ils ont sous leurs ordres des aides qui sont chargés de préparer les remèdes et les régimes. L'hôpital se présente comme un grand palais qui comporte des salles et des appartements avec toutes les commodités des logis princiers. L'eau provient du Tigre. Il serait trop long de donner tous les noms des quartiers de Bagdad, toutefois citons al-Wasîtiyya entre le Tigre et un bras de l'Euphrate qui se jette dans le Tigre. On y apporte tous les produits des régions arrosées par l'Euphrate. [...] Citons encore les quartiers suivants : al-'Attabiyya où l'on fabrique les étoffes du même nom qui sont en soie et coton de différentes couleurs [...] Sur la rive occidentale se trouvent des vergers et des jardins d'où sont exportés les fruits vers la rive orientale. Celle-ci est actuellement la résidence du calife, ce qui suffit à son honneur et à sa gloire. Les palais califiens se trouvent à l'extrémité de la ville orientale dont ils occupent le quart ou davantage, car tous les Abbassides vivent retirés dans ces palais, n'en sortent pas et jouissent de pensions considérables. [...] La rive est de Bagdad possède des marchés importants fréquentés par une foule innombrable dont Dieu, très-haut, seul connaît le nombre. [...] Dans la ville les bains sont innombrables. Un cheikh nous a dit qu'ils sont environ 2000 sur les deux rives. La plupart sont enduits, murs et plafonds, de bitume qu'on prendrait pour du marbre noir poli [...]. Les mosquées secondaires sur les rives est et ouest ne sauraient être évaluées et comment seraient-elles dénombrées ? On y compte environ trente madrasas toutes sur la rive est et toutes aussi belles que de superbes palais. [...] Ces madrasas bénéficient de legs pieux importants et d'immeubles de mainmorte dont jouissent les juristes qui y professent et avec lesquels sont entretenus les étudiants. Les madrasas et les hôpitaux de cette ville ont acquis un grand honneur et une gloire durable.
Ibn Jubayr, Relation de voyage, dans Voyageurs arabes, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1995.
Ibn Jubayr (1144 ou 1145-1217) est un Arabe originaire d'Andalousie (Espagne) ; sa famille s’est installée en 740 à Sidonia. Homme pieux et instruit, secrétaire du gouverneur de Grenade, il entreprend le pèlerinage à La Mecque. Il quitte Grenade le 3 février 1184 et y est de retour le 25 avril 1185. Il a laissé un récit de son voyage, qui l’a mené à travers l'Égypte, l'Irak, la Perse, le Royaume franc et la Sicile. |
Le cas de Bagdad :
- créée en 762 selon un plan géométrique : « ville ronde »
- connaît une grande extension en suite comme capitale de l’empire
- trois fonctions principales :
- centre politique : palais où résident le calife et le gouvernement
- centre religieux : grandes mosquées et universités religieuses (madrasas)
- centre commercial : souks (marchés couverts où les boutiques sont regroupées par spécialité).
3. L'humanisme arabe
C'est une période de dynamisme culturel. Les savants musulmans :
1) recueillent l’héritage culturel des Grecs (mathématiques, philosophie — en particulier Aristote —, médecine), des Romains (médecine), des Persans et fait des emprunts à l’Inde (mathématiques : les chiffres « arabes » sont en réalité indiens, astronomie, mysticisme), la Chine (papier, boussole, poudre…).
2) réalisent de grands progrès scientifiques :
- mathématiques : usage du zéro, algèbre
- astronomie : étude de la lune et des étoiles, calcul de la circonférence (terre ronde)
- médecine : Avicenne (Ibn Sina), Averroès (Ibn Rushd), Ghazi… Pratique de l’anesthésie, de la ligature des artères (pour bloquer les hémorragies), opération des yeux (cataracte…).
- géographie : Al-Idrisi rédige le premier livre de géographie sur l’Europe ; Ibn Battuta (voyageur qui parcourt une part importante de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe)
- histoire : Ibn Khaldun (historien et sociologue qui cherche à expliquer les événements et les conduites des hommes de manière rationnelle)
- philosophie : Al-Ghazzali, Averroès.
3) diffusent les progrès techniques :
- noria : roue à aube qui permet d’amener l’eau à un niveau plus élevé pour assurer l’irrigation de terrains jusqu’alors incultes
- usage de la boussole, du gouvernail d’étambot et de l’astrolabe pour les déplacements terrestres et la navigation maritime.
4) sont à leur tour l’objet d’emprunts, notamment de la part des Européens, à travers l’Empire byzantin, l’Italie du Sud et l’Espagne. Les langues européennes, particulièrement l’espagnol, en portent la trace. Le français compte près de 2500 mots d’origine arabe : sucre, café, tasse, magasin, jupe, abricot, alcool, artichaut, cafard, coton, gazelle, momie, raquette, sarbacane, zéro, chiffre, orange…
L’HUMANISME ARABE – IXe-XIVe SIECLES
« Car l’humanisme s’intéresse à tout ce qui élargit les horizons et les activités de l'esprit humain. Il est donc nécessaire de propager la connaissance de toutes les cultures et les traditions de pensée produites par les hommes au cours de l'histoire de l'humanité. Or, il s'est trouvé des historiens qui ont longtemps ignoré l'humanisme d'expression arabe qui s'est développé et propagé dans tout l'espace méditerranéen entre 800 et 1300 environ, c'est-à-dire bien avant le mouvement humaniste parti d'Italie. L'attitude humaniste s'est particulièrement affirmée à Bagdad, Ravy (actuelle Téhéran), Ispahan, Kairouan, Cordoue, Tolède... aux IXe-Xe siècles pour des raisons que l'histoire de la pensée dans l'espace méditerranéen incluant les pays du Sud et de l'Est de le Méditerranée doit désormais enseigner aux lycées pour montrer la continuité historique de la pensée philosophique grecque en interaction forte avec les pensée théologiques juive, chrétienne et musulmane depuis l'époque lointaine d'Alexandre et plus encore quand le message de Jésus de Nazareth a été transmis en langue grecque par les Évangélistes, puis les Pères de l'Église syriaque, autre langue sémitique comme l'hébreu et l'arabe. Peu d'Européens ignorent le mot si souvent cité de Térence : « Rien de ce qui est humain ne m'est étranger ». Mais combien connaissent le nom d'Abû Hayyân Tawhîd [mort après 1009] et son oeuvre magistrale consacrée à l'idée humaniste que « l'homme est un problème pour l'homme » ? On peut parler d'une ignorance institutionnalisée en Europe humaniste à l'égard de la phase médiatrice d'un humanisme d'expression arabe développé et vécu en contextes islamiques dans ce même espace méditerranéen où s'enracinent les valeurs fondatrices de l'identité européenne. »
Mohamed Arkoun (historien de l’islam), « Humanisme », p. 45-46, dans L’idée républicaine aujourd’hui. Guide républicain, CNDP, Ministère de l’éducation nationale, Delagrave, 2004, p. 45-46. |
Rq : l'humanisme arabe s'entend ici dans un sens linguistique ; y concourent des savants arabes, persans, musulmans, juifs, chrétiens... qui s'expriment en langue arabe.
VOCABULAIRE
ablutions : toilette rituelle (se laver et se purifier le corps)
caravane : marchands qui se déplacent en groupe.
révélation : ensemble des vérités surnaturelles qui fondent les religions monothéistes (révéler = dévoiler aux hommes l’existence d’un dieu unique).
prophète : homme choisi par un dieu pour transmettre sa parole aux hommes
hégire : émigration
islam : religion des musulmans (adeptes d’Allah et de Muhammad)
musulman : croyant de l’islam.