Si c'est un homme, Primo Levi, 1947, l'extermination de l'autre soi-même - classes de 3e et de terminale
Si c’est un homme, Primo Levi, extrait
« La portière s'ouvrit avec fracas ; l'obscurité retentit d'ordres hurlés dans une langue étrangère, et de ces aboiements barbares naturels aux Allemands quand ils commandent, et qui semblent libérer une hargne séculaire. Nous découvrîmes un large quai, éclairé par des projecteurs. Un peu plus loin, une file de camions. Puis tout se tut à nouveau.
Quelqu'un traduisit les ordres : il fallait descendre avec les bagages et les déposer le long du train. En un instant, le quai fourmillait d'ombres ; mais nous avions peur de rompre le silence, et tous s'affairaient autour des bagages, se cherchaient, s'interpellaient, mais timidement, à mi-voix.
Une dizaine de SS, plantés sur leurs jambes écartées, se tenaient à distance, l'air indifférent. À un moment donné, ils s'approchèrent, et sans élever la voix, le visage impassible, ils se mirent à interroger certains d'entre nous en les prenant à part, rapidement. "Quel âge ? En bonne santé ou malade ?" et, selon la réponse, ils nous indiquaient deux directions différentes. [...]
En moins de dix minutes, je me trouvai faire partie du groupe des hommes valides. Ce qu'il advint des autres, femmes, enfants, vieillards, il nous fut impossible alors de le savoir : la nuit les engloutit, purement et simplement. Aujourd'hui pourtant, nous savons que ce tri rapide et sommaire avait servi à juger si nous étions capables ou non de travailler utilement pour le Reich ; nous savons que les camps de Buna-Monowitz et de Birkenau n'accueillirent respectivement que quatre-vingt-seize hommes et vingt-neuf femmes de notre convoi et que, deux jours plus tard, il ne restait de tous les autres — plus de cinq cents — aucun survivant. [...]
Ainsi disparurent en un instant, par traîtrise, nos femmes, nos parents, nos enfants. [...] À leur place surgirent alors, dans la lumière des lanternes, deux groupes d'étranges individus. Ils avançaient en rang par trois, d'un pas curieusement empêtré, la tête basse et les bras raides. Ils étaient coiffés d'un drôle de calot et vêtus d'une espèce de chemise rayée qu'on devinait crasseuse et déchirée en dépit de l'obscurité et de la distance. Ils décrivirent un large cercle de manière à ne pas trop s'approcher, et se mirent en silence à s'activer autour de nos bagages, faisant le va-et-vient entre le quai et les wagons vides. Nous nous regardions sans souffler mot. Tout nous semblait incompréhensible et fou, mais une chose était claire : c'était là la métamorphose qui nous attendait. Demain, nous aussi nous serions comme eux. »
Primo Levi, Si c’est un homme, © Éditions Julliard, 1987 ; Turin, 1947 pour la première édition, en italien.
L’auteur est Italien, de famille juive, ingénieur chimiste, déporté à Auschwitz en 1944-1945. Écrivain, il a publié plusieurs ouvrages, dont ce récit autobiographique. Il s’est suicidé ou est mort accidentellement en 1987, le doute demeure sur les circonstances de sa mort.
Questions :
Toutes les réponses doivent être rédigées. Vous vous appuierez d’abord sur des informations tirées du texte.
1) Qui fait le tri à l’arrivée des déportés ?
2) Sur quelle autre population s’appuient les gardes pour faire fonctionner le camp ?
3) Quels critères sont utilisés pour faire le tri des déportés qui arrivent dans le camp ?
4) Expliquez le passage suivant : « Tout nous semblait incompréhensible et fou, mais une chose était claire : c'était là la métamorphose qui nous attendait. Demain, nous aussi nous serions comme eux. »
5) À partir d’informations tirées du texte et de vos connaissances, expliquez ce que deviennent les deux catégories de déportés après le tri ?
© Histege – A. Sadki mars 2020